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Photo du rédacteurLorraine BIAVA

Deen Burbigo : Grâce au cerveau grâce au cœur

Cela fait plus de trois mois que je suis en boucle sur ses 3 derniers projets, 2 mois que je débute mes journées par l’écoute d’un d’entre eux et que je ne cesse de noircir les pages de mon carnet sur chacune de ses lignes. À la base, j’ai été prise d’une envie soudaine de retourner en 2017, à l’époque où j’étais encore au lycée et que j’attendais patiemment la sortie de son premier album. Les années sont passées mais pourtant je me souviens clairement de l’état d’esprit dans lequel je me trouvais à ce moment-là. Lorsque je me replonge dans son premier album « Grand Cru » en fin d’année 2021, je recherche une chose que j’étais persuadée trouver grâce à Deen : la hargne et l’envie d’attaquer 2022 comme il se doit. 


L’idée de départ était celle de réaliser une chronique sur l’évolution de Deen à travers ses trois projets. L’idée est toujours là mais je suis poursuivie par l’envie de mettre une petite partie de moi à travers celle-ci, histoire de faire vivre l’empreinte que le rap de Deen peut avoir sur certaines périodes de ma vie. 


Grand Cru : À savourer sans modération 

17 mars 2017 


Il y a des projets qui restent intemporels, d’autres qui sont tellement riches que chaque écoute est une découverte. Il y a aussi ceux qui ravivent des souvenirs et ceux qui nous font tout oublier. « Grand Cru », c’est tout ça à la fois : une dégustation d’abord discrète, raffinée et délicate, parfois acide. Puis une saveur tellement surprenante qu’on aurait tendance à y retourner et finalement découvrir que derrière chaque gorgée, se cache encore quelque chose de plus fin. 


« Le monde nous appartient, à nous de le changer » (Pas une autre) 

Un premier album assez attendu pour les auditeurs de la première heure. La Relève puis ensuite l’Entourage : l’époque de l’insouciance, où rien (ou presque) n’est calculé. Natif de Marseille, Deen Burbigo a grandi à Toulon, ville qu’il décide de quitter pour arriver Gare de Lyon, premier endroit de la capitale où il pose ses pieds. Pour autant, la route est loin d’être toute tracée. Avec un vécu en dents de scie où Deen enchaîne les petits boulots dans le sud, arriver à Paris pour reprendre des études d’histoire à La Sorbonne et rapper était une opportunité qu’il n’a pas laissé filer. Très vite, il continue de provoquer le destin : Deen poursuit les Open Mic, fait des rencontres, s’inscrit au rap contenders et reste très actif entre 2011 et 2014. Son premier EP « Inception » qui était un projet très rap, fête tout juste ses 8 ans et « Fin d’après-minuit » qui quant à lui, montrait de nouvelles ambiances, sort en 2014. L’année d’après, l’idée d’un album commence à semer ses graines. Même s’il aura fallu une fermentation longue de 2 ans, l’album « Grand Cru », a eu une belle mise en bouteille et une dégustation digne de ce nom, encore quelques années après. 


« Homme de terrain fait pour l’action, pas pour contempler le jeu, hautement vicieux, trop ambitieux pour me contenter de peu » (Freedom Feat. Nemir) 

15 titres dont 6 featuring, près de 55 minutes d’écoute, et En’Zoo comme beatmaker sur une très grosse moitié de l’album. Comme je le comprendrai plus tard, un projet de Deen Burbigo n’est pas de ceux qui se consomme d’une traite et qu’une seule fois. Si je devais mettre un mot sur ce projet, « contradiction » serait le terme le plus approprié. Pour moi, où il y a contradiction, il y a discussion. Loin d’être un aspect négatif mais plutôt très intéressant. 


La démesure entre le fait d’être connu et de ne pas avoir un rond


Tout quitter pour repartir à 0, ou presque : de quoi dépenser de l’énergie, du temps mais aussi de l’argent. Tout est à (re)construire. 


« Faut investir pour que ça rapporte, faut se dépenser pour que ça paye » (En principe)

Impossible de passer à côté du nombre de références, de jeux de mots ou encore d’équivoques à propos de l’argent et du business. En règle générale, de nombreux rappeurs font référence à cet aspect-là de la vie d’artiste, et notamment au fait de vouloir brasser de grosses sommes d’argent. Deen le fait avec subtilité, personnalité, ambition et maniabilité des mots. Tous les morceaux de l’album sont enrichis par cette démesure et ce rapport aux grandes devises. 

Comme il le racontait en interview pour l’ABCDR du son pour la sortie du projet, le rappeur était allé voir sa banquière avec une capture d’écran du top iTunes pour demander de débloquer sa carte de crédit. Résultat, ça a fonctionné :  «  Investisseur en vet-sûr, de ceux qui cherchent des résultats pas de ceux qui cherchent des excuses »


Faire un premier album accessible mais ne pas perdre son identité


Quand je me replonge dans « Grand Cru », je sais pertinemment ce que je recherche. J’ai envie d’entendre cette voix grave et ce flow syllabique, qui maitrise les mots et qui me fait réfléchir. Par conséquent, j’ai aussi envie de me retrouver dans ses textes et qu’ils m’impactent pour que j’entende ce que j’ai envie et parfois besoin d’entendre. La force de la musique réside dans ce qu’elle arrive à transmettre à chaque auditeur, et c’est en cela que chacun construit une approche très personnelle avec celle-ci. Je pense que ce premier album avait pour ambition de rester toujours technique dans le rap, mais il y avait également une légère volonté de faire des morceaux plus accessibles, qui se prêtent davantage à vivre avec. 


Un premier album de 15 titres, c’est conséquent et ça prend du temps. Après des apparitions très souvent collectives et entourées, il a fallu trouver sa place, définir son univers tout en restant soi-même et en faisant la musique qu’il le rendrait fier. Je suppose que réaliser ce premier album en indépendant, bien que lié à la major Barclay, a fortement contribué à la construction de son identité en tant que rappeur mais aussi en tant qu’individu.  


« Entreprendre c’est viser le meilleur tout en risquant le pire » (En principe)

Avoir une vie tranquille et un succès public 


« J’veux faire ma vie dans la discrétion, de l’alpinisme et de la pêche » (Chaos)

Le paradoxe entre la vie publique et la discrétion revient très souvent chez Deen. L’envie de réussir, de mener une vie simple et de garder les pieds sur terre doivent cohabiter. Mais comment gérer cette vie quand celle-ci nous prend par surprise et que l’ivresse nous emporte ? 


« Sur la route du succès, j’arrive à 400, des problèmes de pauvre et des problèmes de star : ma vie n’a pas de sens » (Retour en arrière)

La vie publique, c’est donner une partie de soi au monde, tout comme le fait d’écrire et de livrer un projet. Deen se prête au jeu par passion, sans forcément trop y réfléchir. Sa passion devient finalement son travail et son quotidien. Le courant l’emporte, le charbon n’est pas une option mais rester proche de ses valeurs et de sa ligne de conduite : « Réussir sans se vendre, car même a jeun on en a dans le ventre » (Pas une autre)


Finalement, Deen est un homme qui aime les choses simples comme celles qui brillent ; conscient que son principal luxe serait de vivre d’une des choses qu’il sait faire de mieux : rapper. 


Une frontière très fine entre l’habitude et l’irréel 


« Ta vie devient irréelle quand tes rêves deviennent réalité » (Me réveiller) 

« Me réveiller », c’est le paradoxe entre l’habitude et l’irréel. Le troisième morceau de l’album, le deuxième à être clippé (et source de la cover de l’album) est sans aucun doute celui qui illustre le mieux cette situation qui finalement, devient quotidienne. 3 couplets, 3 situations différentes, où chacune des contradictions mises en lumière précédemment est évoquée. Accompagné des deux premières tracks, « Retour en arrière » et « On y va », les bases sont posées et l’ambiance du projet est cohérente. 


Comment s’y retrouver quand les problèmes d’argent sont à la source de toutes les préoccupations mais qu’on vient te gratter des selfies devant le pôle emploi ? 

« J'me débrouille avec des bouts d'ficelle à la Koh-Lanta, envie d’les ‘fier-gi’ quand ils m’grattent des selfies devant le Pôle Emploi » (Retour en arrière) 

Comment réaliser ses rêves quand l’ambition et le travail ne manque pas mais qu’on a « trop d’idées et pas assez de maille » ? (On y va) 

Comment garder les pieds sur terre et tout simplement poursuivre cette quête de l’adulte quand on sait « qu’être un mec bien c’est un travail de longue haleine » ? (On y va) 


En fin d’année 2018, « Grand Cru » est couronné d’une certification d’or mais pour autant, le marathon ne fait que commencer.   





Cercle Vertueux : La matrice est lancée 

6 novembre 2020 


3 ans plus tard, Deen sonne son retour en novembre 2020 avec un deuxième album et l’extrait clippé de « Cercle vertueux ». Quelques mois auparavant, en juillet, le clip de « Tout dedans » annonce l’album. Après quelques écoutes, une phase me marque : « Néo dans matrice, Noé sur l’arche, y’a eu dégun sur la Lune, dégun sur Mars »


L’attente fût longue après « Grand Cru » mais dès lors que je comprends le sens de cette phrase, l’impatience ne devient plus qu’un lointain souvenir. Néo, héros de la série Matrix, révèle le mensonge dans lequel vivent tous les habitants de la matrice. Noé, référence biblique, conduit l’arche pour sauver les Hommes et les animaux du déluge divin. Les deux héros ne sont pas choisis au hasard car face à deux situations problématiques et confuses, ces derniers n’auront aucun mal à y voir clair dans le jeu d’autrui. D’où le parallèle et la remise en question des faits historiques liés aux premiers pas de l’Homme sur la Lune. Deen se comparerait-il à ces deux héros en mettant de côté toute naïveté face aux mensonges et aux manipulations ? Peut-être. Ce qui est certain, c’est qu’avec ce second album, Deen confronte ses vices pour en faire des vertus. 


« J’ai mis ma vie en morceaux, mes albums forment un puzzle » (Jeu d’échec) 

Comme le rapport de Deen avec le rap, le cercle vicieux influe sur le cercle vertueux, et vice versa. À l’image du label « Saboteur » sous lequel sort « Cercle vertueux », les rouages sont infinis et enclenchés. L’indépendance est plus qu’assumée ; elle est prônée. 


« Arrivé dans le rap en tant qu’étudiant, j’considère que je le suis toujours » (Savoir-faire) « J’ai vite compris que j’étais pas du bon côté de la transaction » (Savoir-faire)

Bien que Deen ait fait évoluer son timbre de voix pour quelque chose de légèrement plus doux et nuancé, j’ai toujours ressenti une forte corrélation avec « Grand Cru » sur les thèmes abordés. Que ce soit, l’argent, le business, ou encore la technicité, le rappeur poursuit son chemin et se perfectionne. L’aspect le plus marquant selon moi, reste celui de l’indépendance, de plus en plus assumée. Il a fallu de l’observation, de l’expérience et du recul sur le fonctionnement de l’industrie musicale  pour bâtir les fondations et s’affranchir des normes établies.

L’émancipation ne peut donc être niée, mais celle-ci est collective. Encore davantage que dans le premier album, Deen multiplie les phrases pour son entourage : 

  • « J’m’entoure des gars sûrs, j’m’inspire d’audacieux » (Tout dedans)

  • « Chez nous celui qui fait le plus de passe c’est celui qui marque le plus » (Tout dedans) : référence à Nekfeu, qui n’hésite pas à collaborer avec ses partenaires de la première heure et de ce fait, à contribuer à leur mise en lumière. 

  • « J’m’accroche à mes vieux compères » (Clio et Berline)

  • « On l’a fait grâce au cerveau, grâce au cœur, s/o mes Saboteurs » (Cercle vertueux). Au sein du même morceau, on notera également le sample d’un morceau d’Esso Luxueux, pour le moment jamais sorti (à cette époque) : « Cercle vertueux m’envoie sur le tourne disque, j’suis 10 fois au dessus ».

  • « Entouré de mes frères d’armes et de mes frères de lettres » (Grand-père)


Impossible de ne pas évoquer la très technique collaboration avec Alpha Wann sur le morceau « Immunité diplomatique » pour évoquer la loyauté et la réussite du collectif. L’antimétabole et la parallélisme de construction rendent tout simplement le refrain efficace et explicite : « Avant, suffisait d’une caméra, et on ramenait tous les gars du crew, maintenant suffit qu’il y ait un gars du crew, et ça ramène toutes les caméras »


Faire face à ses vices 


« Traits tirés, cernes, petits yeux, j’dois m’extirper de mes cercles vicieux » (Cercle vicieux) 

Les vices d’addiction aux drogues, aux femmes, à l’art de séduire, à l’industrie musicale. Ils sont nombreux et constituent une image claire du cercle vicieux au sein duquel Deen a pu se (re)trouver. La pochette de l’album, signée Raegular, est épurée quand le fond de l’album est riche de musicalités et de sens. Encore un contraste qui ne cesse de me donner matière à réfléchir et à me questionner. Mettre ses vices sous la lumière des projecteurs, c’est pointer du doigt ce qui peut nous déplaire. C’est ne plus être fataliste et faire évoluer cette première prise de conscience en champ d’actions. Pour Deen, la prise de conscience est telle qu’à l’époque où le projet sort, il avait déjà 32 ans. Durant la conception du projet, l’étape des 30 ans est arrivée et se fait ressentir. Ses problèmes ont évolué : « Plus d’argent, plus de problèmes, mais j’préfère mes nouveaux problèmes » (Cercle vicieux). La timide quête de l’âge adulte que j’ai pu ressentir dans « Grand Cru » a changé de dimension pour devenir quelque chose de plus concret et d’atteignable. 


« Les sous peuvent s’absenter, j’me soucie de ma santé, plus de mon pouvoir d’achat » (Tout dedans)
« Mes seuls combats sérieux, celui contre moi-même et contre le chrono » (P2) 

Finalement, Deen aura sorti 2 albums en 6 ans. Le processus est long et ne correspond peut-être pas à ce qu’il envisage pour le futur. Toujours à l’image d’un marathon, il a fallu travailler l’endurance de fond, parfois se lancer dans un sprint, une course contre la montre pour se mettre un peu la pression et répondre à ses ambitions. Pour moi, le morceau « OG SAN », composé d’un couplet unique, permet à Deen de briller de mille feux. Fidèle à lui même : voix grave assumée, débit contrôlé, et lyrics tranchants. 


Finalement, le cercle vertueux prend de plus en plus d’ampleur et permet au rappeur de « développer une exigence de chef » (OG SAN), que l’on retrouvera moins d’un an plus tard, sur un projet qui lui colle enfin à la peau : OG SAN. 





OG SAN, Vol.1 : Un nouveau présage 

9 juillet 2021 


« OG Sama, ça m’a couté beaucoup de sueurs mais pas beaucoup de larmes » (D1)

L’été dernier, Deen révèle 8 pistes de pur kickage, du rap brut et des productions aussi bien travaillées qu’épurées. Aucun refrain chanté, une voix portante et une démonstration sobre mais impactante. Le découpage et la puissance du rappeur font tout simplement du bien à entendre. 


« J’fais la musique que j’aime entendre, et j’vends les vêtements que j’aime porter » (D1)


Pour moi, cet EP c’est la preuve que Deen s’est trouvé à la suite de ses 2 précédents albums. Ces 22 minutes d’écoute nous rendent témoin de son évolution et de sa maturité artistique. Comme le sentiment que Deen s’amuse, qu’il a enfin lâché prise à propos du format album qui n’est pas celui sur lequel il préfère s’exercer. Avec « OG SAN », Deen privilégie la qualité à la quantité et le naturel de son flow et des phases égotrip sont sans retenue. Le Volume 1 laisserait-il présager un second volume ? La question est en suspend mais les indices sont semés, à nous de les trouver. 


Les références au pays du Soleil Levant sont indéniables et la cover elle-même est totalement explicite : simple mais pourtant elle a le don de m’inspirer. La couleur rouge, symbole de puissance, de force, d’énergie mais également de passion, fait écho au Japon, couleur de la purification, qui empêcherait les démons. Au premier plan, on devine la silhouette de Deen, en train de tailler méticuleusement un Bonzaï. Le choix de cet arbre nain est, selon moi, loin d’être choisi au hasard. Historiquement, ce fût le passe-temps d’hommes riches, appelant à la beauté et à la spiritualité. D’abord cultivés dans un but esthétique, ces petits arbres, traduits comme « paysage en pot », sont rapidement devenus des objets d’art reflétant la grandeur, l’essence et la liberté créatrice de son possesseur. Quand je regarde cette cover, je pense systématiquement à une phase de Deen sur l’unique feat de l’EP avec Nekfeu : « Dualité contre mon mauvais moi, elle est perpétuelle. Je ne sais pas ce qu’il adviendrait de mon âme si je perdais l’duel » (Agent Orange) 


« Saboteurs mentalité, on pousse la cadence on gagne en qualité » (Mentalité)

Son dernier tweet de 2021 montre un artiste affamé, toujours aussi ambitieux, si ce n’est davantage. Alors qu’à la sortie de « Cercle Vertueux », Deen pouvait se poser la question de peaufiner son univers, trouver son public ou bien même son modèle économique, 2022 s’annonce croustillant et certain : « J’commence à peine à être chaud, j’suis genre mois de Juin » (Sennin Mode)





Ma chronique touche à sa fin, je me sens d’aplomb pour 2022 et comme souvent, « Le don que je préfère chez les artistes, celui d’immortaliser l’éphémère » (Promotion)



Écrit par Lorraine BIAVA

Le 16 mars 2022


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