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Esso Luxueux, luxure et volupté enchaînées

Dernière mise à jour : 1 févr.

La lumière est tamisée, l’air étouffé par les vapeurs environnantes et les glaçons se cognent contre les rebords du verre. En son sein, quoi d’autre qu’une boisson spiritueuse ? Celle dont la fermentation ne laisse que prédire une agréable dégustation qui aujourd’hui, porte le nom d’Esso Luxueux.

Discret, rare et parfois même effacé, l’artiste parisien revendicateur du 75 sait se faire désirer. Attendu en solo depuis plusieurs années, son nom n’est certainement pas inconnu et il est tout autant réputé pour son oisiveté que pour son phrasé. Ses apparitions se comptent sur les doigts d’une main mais il a déjà cet avantage qu’on se souvient de lui et qu’on attend qu’une seule chose : un projet.

Membre du groupe Cool Connexion aux côtés de Jazzy Bazz mais aussi anciennement DJ d’Eff Gee et de Deen Burbigo, c’est en 2021 qu’il est possible de découvrir Esso Luxueux sur un projet commun avec deux de ses acolytes, Jazzy Bazz et Edge, à travers « Private Club ». L’ambiance ne détonne pas du peu de choses que l’on connait d’Esso : une nonchalance assumée, un spleen noyé dans des substances diverses, des nuits passées à louvoyer et un goût prononcé pour les femmes, notamment celles d’âge mûre.



Sorti deux ans après ce projet commun et sur le label Saboteurs, « Liaisons Dangereuses » nous plonge dans l’univers fin d’Esso Luxueux où de nombreux indices nous laissent deviner de ce dont il est question, avant même d’en démarrer son écoute. 3 titres sur 10 sont en featuring et comme il est possible de s’en douter, Esso est tout sauf mal accompagné : ISHA pour son rap tranchant, Deen Burbigo pour des mots soigneusement aiguisés et Edge pour une mélodie assurée. Niveau production, la qualité Goldstein Studio sait nous servir.

Il est évident que le titre de ce premier EP s’inspire du roman épistolaire « Les Liaisons Dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos paru en 1782 et adapté en film en 1959. La cover laisse imaginer un penchant prononcé pour le risque, celui où les ailes peuvent se retrouver brulées. Et sans grande surprise, les femmes en sont l’essence même, ou les cendres, tout dépend du point de vue choisi. L’essence car elles sont certainement l’une des plus grandes faiblesses de l’homme et qu’elles savent mettre le feu au poudre - les cendres car elles peuvent faire l’erreur de se consumer à leur contact. Mais que va-t-on apprendre de ces relations frivoles, de l’ambiance nocturne, parfois feutrée mais raffinée ?


« Différents mood, on mène 1 million de vie »

(Cléopatre)


Rat des villes, rat de laboratoires, ou Don Juan ; la palette est large mais pas incompatible.

« Liaisons dangereuses » ne cesse de tourner chez moi depuis sa sortie fin juin et je ne peux m’empêcher de rajouter une corde à l’arc d’Esso Luxueux : celle de la légèreté d’un papillon. Comme tous les pollinisateurs, les papillons boivent le jus des fruits et le nectar des fleurs afin de permettre leur pollinisation ; mécanisme indispensable à la reproduction d’une grande majorité des plantes à fleurs de la planète. Cette comparaison n’est évidemment pas le fruit du hasard puisque butiner est certainement l’un des secrets les moins bien gardés de la vie du rappeur parisien, qui ne se prive pas d’en jouer.


« Le blème avec les filles et les fleurs, elles deviennent fanées ou elles deviennent fades »

(Piscine qui déborde, ft. EDGE )


Aussi étonnant que cela puisse paraitre, les ailes des papillons sont constituées d’écailles de soies permettant de protéger ses couleurs, parfois vives et iridescentes. À l’image de la fragilité et de la délicatesse d’un battement d’ailes, les 10 titres livrés par Esso à travers cet EP me donnent l’impression que se perdre dans la luxure, l’opulence et la volupté ne serait autre qu’un moyen de se sentir léger et oublier l’aspect momentané de la vie, sa rapidité et parfois sa complexité. Étant également un grand amateur de name-dropping dans ses textes, le nom de Micheal Phelps, nageur américain spécialiste des épreuves de papillon, ne m’a évidemment pas laissé indifférente :

« Ma peine nage aussi bien que Micheal Phelps » (10 grammes)

Comme si ses problèmes glissaient sur son corps telles les eaux chlorées dans le grand bain, la subtilité de sa proposition artistique n’est pas à confondre avec de la désinvolture. En effet, réaliser un EP d’une trentaine de minutes autour du sentiment amoureux et des relations frivoles peut être un pari risqué surtout lorsque le public veut en connaître davantage sur le personnage. On peut même se laisser à penser que rien de nouveau n’est à apprendre dans ce premier projet. Pour autant, la discrétion et la finesse avec lesquelles l’artiste parisien taille son image dans la pierre est particulièrement intéressante.


« J’m’occupe pas du rap mais j’bosse tah une abeille »

(Cléopatre)


Selon les dires de son entourage, Esso est particulièrement difficile à joindre, donc parfois tout autant détaché de l’industrie dans laquelle il évolue. À mon sens, c’est une richesse inégalable et un charme très bien entretenu. En effet, je trouve qu’il est de ces artistes qui n’ont pas besoin de faire de nombreuses apparitions pour susciter l’attention, tellement celles-ci peuvent être précieuses. Pour autant, plus Esso fait de propositions, plus l’appétit grandit ; et je ne pense pas être la seule à avoir envie d’en savoir davantage. J’attendais une proposition solo de la part d’Esso Luxueux depuis un moment et après deux mois entiers à écouter l’EP de manière récurrente, je peux affirmer que l’attente en valait la peine, même si quelques zones d’ombre m’intriguent.


« Tu veux l’pourquoi du comment »,

(10 grammes)


Au vu du sujet principal abordé, on pourrait imaginer l’EP plutôt intimiste. Pour autant, il ne l’est pas mais permet à tout un chacun de vivre, ou mettre un terme à ses liaisons comme bon lui semble. Je n’ai pas eu le sentiment qu’Esso se livrait de manière explicite ou bien même que certains voiles de sa personnalité s’étaient levés. Mais je ne suis pas ressortie de l’écoute du projet comme j’en suis rentrée : je pense y avoir trouvé la réponse à mon pourquoi du comment. Sans avoir besoin qu’il soit écrit noir sur blanc.


Au-delà de l’érotisme plus ou moins cru des mots, des faits et du rap, « Liaisons Dangereuses » a le même effet qu’une pomme d’amour : une confiserie collante, séduisante mais parfois amer. Comme à l’aube de certaines relations, son caractère inopiné nous appelle à nous engouffrer sans réfléchir dans une faille où nous finissons toujours par en demander plus. Reste encore à découvrir si cette pomme à un goût d’interdit ou si la sucrerie saura satisfaire tous nos désirs.


Écrit par Lorraine BIAVA

Août 2023

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